M. Gillenormand
M. Gillenormand continua: ― Oui, tu l’auras, ta belle jolie petite fille. Elle vient tous les jours sous la forme d’un vieux monsieur savoir de tes nouvelles. Depuis que tu es blessé, elle passe son temps à pleurer et à faire de la charpie. […] Ah, nous y voila ! Ah ! tu la veux. Eh bien, tu l’auras. Ça t’attrape. Tu avais fait ton petit complot, tu t’étais dit : ― Je vais lui signifier cela carrément à ce grand-père, à cette momie de la régence et du directoire, à cet ancien beau, a ce Dorante devenu Géronte ; il a eu ses légèretés aussi, lui, et ses amourettes, et ses grisettes, et ses Cosettes ; il a fait son frou-frou, il a eu ses ailes, il a mangé du pain du printemps ; il faudra bien qu’il s’en souvienne. Nous allons voir. Bataille. Ah ! tu prends le hanneton par les cornes. C’est bon. Je t’offre une côtelette et tu me réponds : À propos, je veux me marier. C’est ça qui est une transition ! Ah ! tu avais compté sur de la bisbille ! Tu ne savais pas que j’étais un vieux lâche. Qu’est-ce que tu dis de ça ? Tu bisques. Trouver ton grand-père encore plus bête que toi, tu ne t’y attendais pas, tu perds le discours que tu devais me faire, monsieur l’avocat, c’est taquinant. Eh bien, tant pis, rage. Je fais ce que tu veux, ça te la coupe, imbécile ! […] Enfin, c’est bon, n’en parlons plus, c’est dit, c’est fait, c’est bâclé, prends-la. Telle est ma férocite. Vois-tu, j’ai vu que tu ne m’aimais pas, j’ai dit : Qu’est-ce que je pourrais donc faire pour que cet animal-là m’aime ? J’ai dit : Tiens, j’ai ma petite Cosette sous la main, je vais la lui donner, il faudra bien qu’il m’aime alors un peu, ou qu’il dise pourquoi. Ah ! tu croyais que le vieux allait tempêter, faire la grosse voix, crier non, et lever la canne sur tout cette aurore. Pas du tout. Cosette, soit. Amour, soit. Je ne demande pas mieux. Monsieur, prenez la peine de vous marier. Sois heureux, mon enfant bien-aimé. Cela dit, le vieillard éclata en sanglots.